Le corps de béatitude

Le corps dans sa béatitude et les « fréquences » sensorielles.
Le grand apport du Tantra ou des pratiques de Yoga qui lui sont associées est de montrer que le corps est doué pour la béatitude. Cette découverte peut prendre le temps qu’occasionnent des pratiques personnelles plus ou moins régulières, mais elle me semble inéluctable.
Des respirations ou pranayamas associées à « mulabandha » ou « sambavhi mudra » en connexion avec le nerf spinal conduisent à une inversion de l’extase des sens vers l’intérieur, vers l’ensemble des terminaisons nerveuses.
Cette pratique (pratyahara ) ou « retourner les sens vers l’intérieur » dévoile l’immense joie du corps à être ce qu’il est là où il est.
 
Cette aptitude du corps à jouir de lui-même, de ce qui lui est intérieur et extérieur peut être rapproché du concept de béatitude « ânanda » qui fait partie des 5 énergies de conscience de la voie tantrique de l’énergie, mais aussi des « Indriya » au sens de « facultés de connaissance sensorielle ».
Ce pouvoir (Indriya) s’exerce autant dans la conscience (Shiva) que dans l’action (Shakti) et traverse les éléments, matières et actions que nous rencontrons dans les espaces naturels : liquides (eau/huiles/glace/sang) terre, air (vent/odeur/mouvements/chocs/température), végétaux (bois/fleurs/feuillages) minéraux, métaux, peaux (pilosités/cuirs/fourrures/matières synthétiques), visions (manifestation de la représentation, couleurs, formes, symboles), sons (intérieurs, extérieurs, voix), goûts (dégustation, absorption), modes d’actions corporelles, kynestésiques et comportementales (Caresses, griffures, douceur, douleur). Ces éléments tant objectifs que fonctionnels dans leurs variations sont autant de « fréquences » vibratoires que nous croisons selon les moments.
 
Jouir est une faculté de connaissance.
Faire l’amour dans un espace naturel extérieur plutôt que dans un appartement ou espace clos permet de saisir le sens des « Indriya ». Cette compréhension se fait par le corps bien sûr. Nous sommes l’air du vent qui nous caresse, comme l’odeur des fleurs ou de la peau de notre partenaire. Les éléments naturels deviennent des véhicules, notre plaisir, nos états orgasmiques des facultés de connaissance, des pouvoirs.
Cette énergie de béatitude monte de la terre, tombe du ciel et jaillit de notre centre.
Plutôt que sexualité encore, appelons là un temps « expression de soi », car en traversant toutes ces fréquences présentes en nous et autour de nous, c’est l’énergie naturelle du monde de la matière qui s’exprime en nous de manière créative. Le lien commun que l’on fait intuitivement entre énergie sensuelle/sexuelle et créativité artistique est ainsi simple à comprendre.
Cette énergie s’exprime, trouve son chemin si le contexte ne lui met pas trop d’obstacle, ou s’incarne par des chemins dérivés si la société s’y oppose.
Dans « Surveiller et jouir » (Anthropologie politique du sexe) Gayle Rubin se décrit comme une jeune lesbienne quittant sa région provinciale des États unis pour rejoindre une grande ville où des espaces communautaires existent pour son épanouissement. Elle décrit par la suite sa découverte du BDSM lesbien comme étant une sexualité qu’elle veut vivre malgré le rejet d’une partie du milieu féministe sur ces pratiques. Elle pointe ainsi le décalage entre une aspiration fréquentielle de son être et les écueils d’un raisonnement idéologique et politique.
 
Un corps à la sensualité autonome
À présent que puis-je tirer de ces réflexions, qui me donne une idée plus juste de ce que recouvrerait le mot de sensualité ? Cette notion ou cette énergie n’est elle qu’un mot valise ou la traduction de ma disposition d’être humain à sans cesse me mouvoir et vibrer/m’incarner à travers des fréquences au gré de mes intensités, des intuitions sensorielles qui me traversent.
Trouver la/les fréquences où l’on résonne/vibre le mieux devient un mouvement naturel, se déplacer de l’une à une autre, en traverser tout un spectre comme le scan d’un poste de radio, être traversé par les manifestations énergétiques de la Shakti, tel peut être le chemin possible pour nous en tant qu’êtres organiques doués de cette sensibilité multidimensionnelle.
 
Les représentations graphiques des pratiques de la sexualité humaine sont peu nombreuses, explicites ou qualitatives. (voir la carte https://www.humansexmap.com qui dessine la sexualité sous la forme de régions habitées de tribues). Il existe aussi un dictionnaire des fantasmes et perversion dans les Editions Blanches.
Le nombre de pratiques et expériences recensées que traverse l’énergie « sensuelle » des êtres humains est considérable.
Toutes les matières naturelles ou synthétiques, toutes les parties du corps, scénarii divers rentrent en scène pour que l’être entre en vibration/mouvement.
 
BDSM, le triomphe du visible, mais pas que…
Dans l’imagerie des sexualités alternatives du 20e siècle, le BDSM s’est taillé la part du lion. Le cuir, le métal et les matières plastiques ont fasciné caméras et objectifs pour remporter la bataille de l’image, du glamour et de la représentativité. Cette imagerie est rentrée en résonnance avec le monde des médias, du cinéma, de la littérature populaire et de la publicité pour faire de ce genre le modèle dominant ou représentatif de la sexualité alternative soi-disant transgressive.
Ce triomphe est à mon sens limitant, car il se fait en occultant le panorama de bien d’autres sensualités moins scopiques.
 
Les pratiques et les cultures BDSM sont toutefois à considérer pour l’éclairage qu’elles ont le mérite d’apporter. Elles projettent et mettent en scène un univers graphique bien sûr, mais au-delà elles créent un environnement du « signe » qui aurait pour ambition de rendre « lisible » la sensualité, visibles les polarités et les transferts énergétiques entre individus
 
Un code courant dans certaines pratiques consiste à entourer les parties de son corps que l’on souhaite voir toucher. Les croix à contrario peuvent désigner les zones du corps interdites. Il y a là comme une volonté de mettre à jour, de rendre manifeste la sensualité par des procédés qui visent à réduire « l’incertitude ». Avec un code de la route, la sensualité acquiert une visibilité signalétique et polarisée.
 
Mais le grand apport du BDSM et de ses pratiques est peut être surtout de fonctionner à la manière d’un cadre tantrique et d’explorer (la) ou (les) polarités. Il fait ce constat : Le monde et le corps sont polarisés ? et bien allons-y, explorons l’étendue de ce que nous ressentons dans le corps, questionnons les limites, jouons avec les contrastes et les amplifications, laissons vivre et croitre la plus infime sensation. Il pose aussi un espace de respect, de liberté, de non-jugement et finalement de sécurité à l’intérieur duquel chacun peut vivre l’expérience de là où il/elle en est et de ce qu’il/elle aspire à vivre.
 
C’est un espace intéressant pour se connaître, se découvrir et amplifier « l’auto perception » de soi-même et explorer les aspects énergétiques et/ou névrotiques (en boucle) qui nous concernent.
Il théâtralise et intègre les émotions négatives qui détournées apportent du carburant aux processus de plaisir. Il ne fait cependant pas que cela.
Il introduit un 3e partenaire qui est l’ensemble des objets et vêtements qui concourent aux explorations à l’amplification du plaisir, du narcissisme et le message en un sens pourraient être :
« Le corps en connexion à sa nudité peut admettre des extensions, des périphériques… ». L’objet et sa matière deviennent des médiateurs, des amplificateurs. Cet objet dans la dépendance qu’il peut induire peut par contrer faire écran, nous séparer, minorer notre potentiel sensoriel ou simplement nous obliger à nous articuler autour de lui et à jouer son jeu.
Le danger de l’autoperception est de basculer dans la séduction, le narcissisme, l’auto centrage et de ne plus rencontrer l’autre, limité désormais à n’être plus qu’un intermédiaire entre moi et moi.
La réflexion qui peut ainsi surgir de ces observations est la suivante : Après nous être explorés par tous les moyens énergétiques, névrotiques ou accessoirisés, il serait peut être temps de « faire l’amour » et d’accepter d’être peau contre peau et non pas représentation contre représentation. Sinon d’accepter que l’exercice de sa propre sensualité outrepasse cette idée de « faire l’amour ». Un postulat de Michel Houellebecq dans ses articles de 2020 sur lequel il y a de quoi débattre (autour des principes d’abandon et de respect de soi) illustre assez bien cette problématique : « Il faut quand même oublier sa propre valeur pour faire l’amour. À partir du moment où le fait d’être séduisant est un but en soi, la sexualité devient impossible ».