Sensualité, Sexualité, Société et… Tantra

L’expérimentation tantrique fut pour moi la redécouverte du « sensuel ». Non pas du « sensoriel » qui ne serait qu’une énumération des possibles ou la main qui anime le pantin à partir de ce que l’on nomme les 5 sens, mais d’un langage à la fois physique et émotionnel inhérent à la nature et à ma condition d’être humain.  Ce langage (et c’est là le 1er objet de cet article) transcende le social et la sexualité (qui n’est qu’un aspect du social) pour créer l’amour et les arts qui sont pour moi les formes manifestées de l’union du « sensuel » et du  « sensible » .  L’autre objet de cet article est d’observer et ressentir ce que le « fait » tantrique peut représenter comme opportunités à penser et vivre le social autrement

 « Les actes sexuels sont des pronostics qui se projettent sur le social. (Et inversement) Entre le sexuel et le social il n’y a pas de barrière, il n’y a qu’un prolongement de l’un vers l’autre ».

 (Cours de Michel Foucault  au collège de France 1980)

 Le mot « sexualité » qui apparaît récemment au XIXème ne me paraît pas employé « justement » à nommer ou décrire ce que les êtres humains vivent de l’amour et du plaisir au plan physique et psychique. Le mot sexe lui même dans son étymologie s’ouvre à plusieurs sens. Du latin « secare » : couper/diviser, mais aussi « sequi » accompagner, ou du grec « Hexis » manière d’être état. Il désigne donc en premier lieu une différence ou une séparation, un fait social « le vivre ensemble », puis un style de vie, un état identifié de la personne.

« Sequi » au sens de « l’accompagnement » est sans doute le sens le plus intéressant de cette racine, car elle évoque nature sociale du sexe vers… quelque chose, une éclosion, une ouverture mais quelque chose de partagé dans un cheminement.

 

Un autre sens plus médical émerge de l’époque moderne qui désigne l’énergie des organes et des différents cycles hormonaux et qui pourrait tendre à limiter le corps à une dimension de « machine ». 

Mais, le terme sexualité dans son acception généraliste et dans l’éducation reçue par les médias désigne surtout en premier lieu ce que l’on fait avec avec nos sexes dans le contact (les actes factuels), les statistiques de pratiques (« combien » plutôt que « dans quels états/ressentis »…), nos orientations et différences physiques de genres ou l’intention de reproduction éventuellement.

 

A la place de ce mot de « sexualité » très marqué par le genre, la psychanalyse et par les notions afférentes de pulsions, et de refoulement, je propose de faire l’expérience d’utiliser le mot « sensualité » (souvent galvaudé et incompris) qui, dans sa définition plus large désigne les facultés sensorielles dans leur ensemble et rassemble ce que l’être humain a de plus énergétique, grand, subtil et complexe.

Ainsi je propose de faire l’expérience de regarder la sexualité à partir de la sensualité et non l’inverse, ce qui pour moi change la donne.

 

La sensualité englobe ainsi les faits de la sexualité factuelle et par définition « sociale » mais la dépasse de par sa nature potentielle, non limitée.

Les sens perçoivent et « éclairent » ainsi le monde, ils captent les dimensions énergétiques de la réalité et la font circuler dans l’être.  Ce constat est pour moi au cœur de la pratique du Tantra.

 

Sensualité, sex et société, y a-t-il un problème ?

 « La sexualité humaine revendiquait le droit de passer de l’escalier de service de la vie sociale où depuis des milliers d’années elle menait une existence sordide, malsaine et purulente, à la façade de l’édifice lumineux appelé pompeusement « culture » et « civilisation ». (Wilhem Reich, La Fonction de l’orgasme éd 1947)

Cette phrase tirée d’un des ouvrages de référence de Reich pose bien une problématique qui reste contemporaine.

La perception que notre société médiatique a du Tantra en découle donc.

Tantra et sexe sont ainsi 2 mots que les médias et nombre d’idées reçues associent confusément. Le mot sexe, on peut le regretter demeure ce véhicule piraté sur lequel viennent se coller les névroses et projections les plus diverses.  Prononcez le mot Tantra dans une discussion profane et peut être entendrez vous en écho les mots « massages » ou « orgasmes », éventuellement « secte… ». 

Le Tantra doit cette renommée à bien des amalgames mais aussi au fait qu’il ne retranche pas l’énergie sensuelle de la totalité de ce que nous sommes. Ce que je nomme communément « le sexe » est vu depuis le Tantra le plus ancien comme un état d’effervescence qui me connecte à la totalité, du microcosme que je suis au macrocosme de l’univers qui m’englobe. Mais le sens de l’union Shakti/Shiva et Yoni/Lingam est aussi d’ordre spirituel si l’on considère que dans la vision de l’Inde tantrique, le lingam est avant tout un symbole d’éveil ou d’illumination. 

En ce sens comme dans d’autres, le Tantra n’a pas de problème avec le sexe , la sensualité et son énergie, car ils sont notre réalité et constitutifs de l’énergie de la nature qui nous entoure. 

De là quel est le problème entre la sensualité des êtres humains, les pratiques qui en découlent et les modèles d’organisation sociale ?

Ce que la sociologie, l’histoire et l’anthropologie permettent d’observer c’est que les sociétés construisent leurs structures d’organisation autour des pratiques sensuelles majoritaires ou dominantes.

L’hétérosexualité par exemple, légitimée par la procréation et le contrôle identitaire familial et patrimonial.  Viennent ensuite s’agréger à ce modèle des considérations religieuses, théologiques et morales qui forment une structure autour. 

Mais quand la sensualité et son énergie (non contrôlable par essence) se déploient dans l’espace social en générant des formes d’expressions et de relations dissidentes, celle-ci rentre en conflit avec le socle d’organisation premier qui la perçoit comme une menace, une remise en question. 

Ces sociétés mettent alors des siècles ou millénaires à concevoir et légaliser la place des sensualités dissidentes au travers de mouvements sociaux et de travaux législatifs ô combien lents et laborieux. L’archaïsme dans lequel perdurent encore les formes religieuses majoritaires du monothéisme en est l’exemple permanent. La persécution des minorités sexuelles de par le monde en est un autre.

 

Du social et du statut masculin/féminin en miroir. 

Évidemment parler de sensualité ou de sexualité renvoie immanquablement par delà les dissidences aux rapports que les genres (femmes /hommes/transgenres) entretiennent entre eux et si l’on se place du côté d’une projection idéaliste de co-construction le constat n’est pas enthousiasmant.

Il y a bien sûr des avancées sans précédent comme la vague #metoo ou la libération de la parole face aux abus, à l’inceste, mais parallèlement, des reculs inquiétants ont lieu comme sur la remise en question du droit à l’IVG dans divers pays d’Europe, entre autres stigmates.

A y regarder de près nous sommes encore à l’ère du « grand désastre » pointé par « Barry Long »  dans les années 80 dans son célèbre « Faire l’amour de manière divine ». 

Il n’y a rien d’exagéré à dire que le masculin de l’orée du 21ème siècle est en crise et peine à se réinventer. En 2021 des femmes continuent de mourir sous les coups de leurs compagnons ou des bandes de jeunes hommes s’affrontent dans les villes et meurent pour des motifs dérisoires. 

Pourtant les prototypes de masculin(s) innovants n’ont pas manqué depuis 50 ans, de la vague hippie androgyne des années 70 en passant par les mouvements new âge, le néo tantra d’Osho, les hommes analysés et fragiles du cinéma de Woody Allen, les livres sur le slow sex des années 90, l’essor du développement personnel des années 2000.

D’une certaine façon, il n’y a aucune surprise à cet état de fait, car le modèle de société dominant reste fondé sur la compétition entre états comme entre citoyens. Mais quel projet de société demeure en général et pour le masculin en particulier, longtemps soldat de la tribu puis de la nation, puis de l’économie, sinon se battre pour des possessions matérielles, pour « protéger » sa famille et pour sa propre image. Je ne parle pas ici du fait de se battre pour la liberté individuelle, politique ou sa propre survie.

Ce combat dans un premier temps échoit aux hommes sommés d’être des fantassins ou des remparts. Dans un deuxième temps, il contamine une part du féminin qui pour conquérir ses droits et sa place dans les organes de décision politiques et économiques utilise les comportements du masculin. 

Il y a de fait comme un mépris (au sens de méprise) de cette civilisation pour la caresse et la douceur qui semble n’intéresser que les vendeurs de laine ou de couches culottes.

La douceur en tant que regard, toucher et conscience manifestée est largement ignorée ou vite rangée dans la catégorie « faiblesse » ou « réservé à la sphère de l’intime ».

La violence (et le culte que lui rendent les médias, le cinéma, les jeux virtuels) en tant que mode d’action et d’esthétique a tout submergé.

Plutôt les corps sanglants que les corps nus dans la béatitude et si nudité il y a, ce sera le code pornographique mainstream qui l’emportera, remettant en scène inlassablement les rapports de conquête et de domination.  

S’il fallait s’en convaincre, regardons les programmes scolaires de notre pays. L’éducation à la sensualité, à l’empathie, à la compréhension émotionnelle est absente des programmes ou est le fait de réseaux d’enseignement privés et minoritaires.

Pourquoi donc s’étonner que des enfants s’entretuent ou que le masculin demeure emmuré dans une attitude de « guerrier de réserve » qui lui occasionne de vivoter à petit feu dans sa tourelle.

Occasionner une évolution du masculin passe par changer d’imaginaire social en collaboration avec le mouvement dit « féministe » quel que soit les formes qu’il prenne. Les cercles d’hommes sont un commencement, le Tantra bien sûr, mais ces initiatives ne peuvent se borner à des effets de « niche » et doivent remonter jusqu’à la source, la structure globale.  Changer le masculin doit aussi signifier changer de société sinon il ne s ‘agirait que d’une posture de façade.

Quand je dis société, il ne s’agit souvent à un instant T que d’une poignée de décideurs politiques, d’industriels et de publicitaires qui racontent une histoire, celle de la « société pourvoyeuse de désirs sans cesse renouvelés par injonctions », exploitant à l’infini les pulsions égotiques et le sensoriel.

Ce qui s’ensuit est que des millions de personnes croiront cette histoire et en resteront prisonnières. Obtenir satisfaction engendrera ainsi toutes sortes de violences. Faire le job de dissiper l’illusion reviendra à dénoncer la fable sociale qui nous est racontée.

La douceur est un état d’être et une puissance en action transformatrice qui se transmet par l’éducation, le cœur, et le mimétisme, mais elle n’est pas encore au programme du projet de société auquel nous faisons face. (Mais peut-être un jour…)