Le Genre, le Statut, Le Corps Tantrique. (la notion de corps approchée par le Tantra)

Peut-on n’être qu’une « incarnation » et se vivre comme une entité énergétique faisant l’expérience du corps par lequel elle se meut et s’exprime ?
En quoi le Tantra et ses pratiques sont elles des voies d’émancipation face aux contextes qui nous cernent , aux assignations de genre, de binarité et de comportements ?
Par quels procédés tente t-on de s’approprier son corps, de l’individualiser et de quoi mon corps s’accorde t-il à être le reflet.


Un film manifeste
En 2018 j’assistais à la projection du film « Girl » de Lukas Dhont. Il met en scène l’évolution familiale et scolaire d’une fille Lara (son visage et la forme de son corp la désigne comme telle) dotée d’un pénis.
La vie de cette danseuse Lara s’articule autour de la dissimulation de ce pénis à ses copines de vestiaires et sur l’impossibilité d’en faire état dans sa sphère publique comme privée. Ses flirts tournent court dès qu’il s’agit d’aller plus loin dans l’intimité physique.
Se pose ensuite la question de la médecine, des opérations, de la « rectification » du genre.
Je sortais de cette séance plein de gratitude pour les émotions et les perspectives de réflexions qu’il m’avait procuré.
Mes interrogations étaient les suivantes ; quelle serait la trajectoire de vie de Lara l’héroïne dans un autre contexte/espace social où la question d’avoir ou non un pénis associé à une apparence/corps de femme ne serait qu’une « non particularité » ?
L’espace tantrique en tant que lieu d’expérience de soi tendant au non jugement peut il augurer d’une révolution sociale et apporter une réponse aux conflits internes vécu par Lara ou tant d’autres ?


Le corps social
Ce film a clairement posé pour moi la question du « corps social » qui par extension peut être le « corps genré » c’est à dire le mécanisme qui fait qu’avant d’être « mon corps » ce corps qui est le mien est avant tout le corps d’une société, d’une tribu, d’un ensemble de règles et d’usage.
Ce film témoigne aussi du fait que l’occident reconnaît au combien tardivement le genre dit intermédiaire, « intersexué » ou 3èmegenre présent depuis toujours mais occulté dans la sphère cis genre et relégué aux espaces minoritaires stigmatisés du spectacle de cabaret, de la prostitution, de la dérision.
« Beaucoup continuent de voir dans l’intersexuation une erreur de la nature, voire une monstruosité pathologique. Malgré la mobilisation de mouvements sociaux (féminisme, mouvement LGBT5…), « cette étrangeté demeure mal tolérée par l’opinion tant la bicatégorisation des sexes (la division de l’humanité en deux sexes bien définis et exclusifs l’un de l’autre) structure l’ordre social depuis des siècles, explique Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, et directrice de l’Unité transversale de recherche psychogenèse et psychopathologie. Vouloir à tout prix répartir l’humanité en deux sexes explique que de lourds traitements hormonaux et chirurgicaux soient toujours utilisés, dès la petite enfance, pour “corriger” les “ni ceci ni cela” ou les “et ceci et cela”, même si les intersexes adultes et certains médecins critiquent cette politique du bistouri synonyme de changements irréversibles et de souffrances physiques et psychiques ». Philippe Testard-Vaillant
https://lejournal.cnrs.fr/articles/combien-y-a-t-il-de-sexes
Il y a donc d’une certaine façon dominance du « corps social » (vécu sous forme de « sentiment d’identité ») sur une perception neutre de mon corps organique.
Ainsi je peux dire et ressentir que mon corps vit dans le cadre de « l’ordre hétérosexuel patriarcal » en tant que système social et politique. J’emploierai ce terme plutôt que « patriarcat » mot concept utile et très vertical mais qui n’a pas le mérite de postuler que la sexualité structure le social au sens politique sous jacent.
Quand je dis « ordre hétérosexuel » je ne dis pas qu’il faut critiquer ses attirances mais considérer un système/espace global.
Puis je donc à contrario faire l’expérience d’un corps « neutre » délivré du social, du transgénérationnel, de tout héritage ? je ne le pense pas non plus.
A supposer que je sois de surcroit sourd et aveugle ce qui me priverait d’une partie de mes « Jnanendryas » (facultés de connaissance sensorielle) la seule expérience universelle /archétypale que je puisse partager avec l’ensemble du vivant se trouverait dans le rythme cardiaque, le flux et la respiration. (ce qui va dans le sens des premières stances du Vijnana )


Qu’est que « l’ordre hétérosexuel patriarcal ». ?
-Un espace essentiellement dévolu à la sensualité et dynamique sociale hétérosexuelle.
(Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics peuvent attirer les regards obliques,
mais s’il s’agit de 2 femmes ou 2 hommes ou intersexués il peut s’agir d’insultes, d’agressions, de meurtres. )
-Une occupation de l’espace public en majorité par le masculin.
Terrains public de sport, portes cochères, cafés, stations debout au bar, marcher seul(e),
La rue la nuit (le temps nocturne à l’exception des clubs discothèques/taxis zones refuges).
-Une classification de comportements.
-Une stigmatisation des modalités d’expression du plaisir.
-Une injonction à considérer la reproduction comme voie principale ou inévitable d’épanouissement.
-Une organisation spécifique des rythmes de vie (travail/loisirs/vacances)
-Une orientation de l’expression artistique et culturelle.
-Un assignement à des types de professions d’activités.
-Un ordre économique
-Des produits de consommation ou un consumérisme dédié.
-Des productions et créations audiovisuelles typées
-Une esthétique, sexualisation et marchandisation orientée du corps (en particulier celui des femmes).
– Un « Deal » masculin/féminin implicite et à sens unique dont le féminicide est le stigmate révélateur.
(Je te protège contre la violence physique et économique du monde que je crée en échange de ta soumission collaborative, toutefois ta désobeïssance ou ton imprudence peuvent te valoir la mort).


Qu’est ce que le corps marchandisé, sur-érotisé dans son stade juvénile.
L’ordre hétérosexuel patriarcal dans le triomphe de l’économie consumériste a trouvé un procédé commode dans la manipulation de masse des désirs. Sur investir l’érotisation des corps au stade juvénil afin de condenser, focaliser la dynamique « scopique » du désir sur des morphologies restreintes, créer des « trigger » du désir.
Le corps des femmes a été la cible principale de cette démarche même si le corps masculin n’est pas absent de cette stratégie.
Ce corps objet de désir unifié /unicité dans sa forme agit comme une sorte de levier en créant toute sorte d’obligations dont raffole l’économie libérale marchande. Obligation de minceur, orientation de l’alimentation, remplissage des clubs de sports, sublimation de la fonctionnalité du corps au sens productiviste, hygièniste, injonctions multiples tant à l’apparence qu’à la performance du corps.
Ces injonctions par ailleurs tendent à nier la diversité naturelle des morphologies pour imposer progressivement le moule/le profil d’une forme valorisée par la représentation sociale / consumériste, celui d’un corps de la performance érotique et fonctionnelle, en permanence redessiné afin d’amoindrir les marqueurs de l’âge, de la maternité.


La mode comme imaginaire social et dynamique du corps.
Le corps ainsi de la fin du 19ème siecle à nos jours évolue en terme de représentation. Dans un interview filmé de Joséphine Baker traitant de son arrivée en France en 1925, la danseuse américaine décrit la France de l’époque, un pays où les femmes mangent bien, avec des corps aux formes généreuses redessinés par les gaines ou corsets.
L’arrivée de Baker marque alors un tournant. Ses performances de la revue nègre propulse dans l’imaginaire social, l’image d’un corps de femme plus fin, plus androgyne, métissé et orgasmique/explosif dans sa danse. L’engouement populaire autour de Joséphine est total. Très vite la représentation du corps des femmes s’affine, les cheveux raccourcissent, les robes ne marquent plus la poitrine, les jambes se dénudent, le fume cigarette en étendart vient comme signifier l’autonomie de la femme à gérer publiquement son désir, son plaisir.
Il y a donc une propension du corps à se rêver autre à se redéfinir ou redimensionner au travers de l’imaginaire social de la mode. Cette liberté de l’imaginaire prend fin en quelque sorte lorsqu’une poignées de décideurs industriels et médiatiques prends les rênes de cette force imaginative pour l’assigner à la contemplation répétitive des mêmes icônes.


L’ordre médiatique / industriel et représentatif contre la diversité de la vie.
Quelle est son action ? si ce n’est faire rentrer les corps et leur diversité dans le même moule hygiéniste performatif et érotique.
Ce moule tend à érotiser les même critères : Finesse des tailles, hanches étroites, poitrine moyenne, pilosité zéro et effet jambes longues pour les femmes. Taille haute, musculature athlétique, pilosité moyenne et grand pénis pour les hommes.
Cet ordre laisse de côté et dévalorise tout autre standart ou état d’être du corps dans ses potentiels d’attractivité et d’expression. Il invisibilise l’homme de petite taille, menu, au petit sexe, comme la femme très ronde ou volumineuse, il hiérarchise et critérise laissant chacun(e) prisonnier(e) d’un regard collectif engrammé dans sa chair.
Pourtant qui a déjà fréquenté les lieux libertins, sexpo ou les espaces créatifs de la sexualité/sensualité aura eu l’occasion de constater la grande variété des corps et objets de désir bien différent des standarts placardés sur les affiches de nos villes . Il existe un érotisme et attractivité du « volume » du corps, grand ou gros corps, les grandes surfaces de peaux quel que soit le genre,. Il en est de même pour les petites tailles ou pour la maigreur avec l’érotisme propre à la visibilité de l’ossature.
Le mot « Erotisme » ou « Erotisation » ici renvoie à la capacité de tout corps à se connecter à ses propres modalités d’expression de plaisir, de désir et de béatitude.
Ainsi une approche tantrique de l’Eros consiste pour moi à laisser s’exprimer l’attractivité des corps dans leur diversité et au travers de nos mouvements intérieurs, libérés du regard social et critérisé ? Voilà qui serait la base d’un renouveau érotique profond.


2 modes de relation au corps entre acceptation et contrôle/individuation.
Ma première réaction après la vue du film « Girl » fut d’imaginer un monde où Lara ne passerait pas par la case opération, où son identité sexuée avec ou sans pénis ne poserait aucun dilemme. Encore une fois la réflexion en terme d’espace social se pose. Où est ce monde ? Emerge t-il. ? Sur les réseaux sociaux oui mais en terme d’espace physique et social autre que les clubs ?
Vivre l’unité, faire unité avec soi, avec son corps est une des voies du Tantra, alors comment le fait-on quand se lève l’injonction à l’identification de genre ?
Comment se débrouillent les corps/psychés quand l’attribution de genre par le social disparaît ou se fait plus ténue ?
Je vois/ressens 2 chemins qui pour le coup incarnent une forme de dualité.
Le chemin qui consiste à acceuillir le corps dans lequel on s’incarne, quel que soit son genre morphologique/organique ou les formes de son intersexuation. Vivre ce qui est là en devenir/évolution naturelle, entre vie dynamique du corps, vieillissement. Reposer dans la spacialité du corps.
Le 2ème chemin consiste à considérer son corps comme un terrain ou véhicule d’individuation. Cette individuation peut passer par toute formes de contrôles ou modifications. Modification de l’orientation de genre bien sûr par intervention médicale/chirurgique, mais aussi par tous les procédés de modification corporelle tels les tatouages, scarifications incrustations, implantations, musculations, taillages, prise de poids ou amaigrissements volontaires, procédés alimentaires, chimiques, prothèses technologiques. (en ce sens la perspective transhumaniste nous réserve quelques surprises)
Ce chemin se définissant ainsi par ; quel est le corps que je veux vivre dans l’instant présent, de quoi aussi je souhaite être le miroir ? (mon corps dans ce contexte comme dans toute vie sociale ne pouvant être pure indépendance dans sa volonté de « réflexion esthétique », mais choisissant au jour le jour quel aspect du monde il souhaite refléter ).


Vers un espace social « tantrique » ?
A nouveau me reviens cette question, peut on évoluer rapidement vers un espace en extension (Et je par là d’un espace physique non virtuel) pour des comportements/choix de vie/d’apparence/d’identités qui ne soient plus le calque des injonctions de reproduction des statuts genrés hétéronormés.
Car ici le mot « statut » désigne là où se situe le véritable enjeu, le vrai combat. Derrière ce mot se situe l’enjeu de pouvoir, d’autorisation de droit à la visibilité et souvent d’abus.
Du masculin et du féminin pouvons nous ne vivre que les « registres » dans leurs étendues (sans nous identifier à eux) et non seulement les postures caricaturales de la princesse et du guerrier.
Que peut apporter le tantra et ses procédés/méthodes sur ces questions sociétales ?
Une forme d’action « politique »…?
Dans mon ressenti, une forme de neutralité et d’inclusivité qui ne pointe rien, n’assigne à rien, n’a aucun objectif, ne « sectionne » ou ne modifie rien, mais qui crée un espace dynamique où le corps/psyché peut se re-imaginer dans un mouvement en spirale et non en boucle fermée.